Paroles de passionnés : La passion selon Henri Breuillé

Paroles de passionnés : La passion selon Henri Breuillé

Paroles de passionnés : La passion selon Henri Breuillé

Le nom d'Henri Breuillé ne vous dit peut-être rien, mais il fait pourtant partie de ceux qui font vivre la mémoire du cyclisme. A Cambo-les-Bains, au Pays Basque, il est le gardien d'un temple ouvert aux copains de toujours, comme aux passionnés de passage. Un lieu entièrement dédié au vélo et à son histoire, où l'on cultive aussi l'amitié.

L'histoire commence en 1948. André Breuillé, le père d'Henri, ouvre un magasin de réparation de cycles à Cambo-les-Bains. "Très vite, il a commencé à garder des vélos un peu atypique datant des temps héroïques" explique son fils. Ce dernier reprend le magasin en 1981, poursuivant depuis la voie initiée par son père. Au fil des années, s'accumule ainsi une incroyable collection de maillots et de vélos, témoignage amoureux et vivant de plus d'un siècle de cyclisme. 140 vélos et 280 maillots aujourd'hui, dont il montre une partie dans son ancien atelier désormais réaménagé en musée. Tous les trimestres, l'expo maison change, et le passionné ne sera pas déçu du voyage, avec en permanence 60 vélos, une centaine de maillots et de nombreuses photos visibles.

Aujourd'hui retraité, Henri Breuillé n'est pas du genre à raconter des salades. En bon technicien (il bichonne encore les vélos de ses amis), l'homme est avide de précision sur tout ce qui touche à la l'objet en lui-même, auquel il voue une relation presque charnelle. "Ce vélo à cardan de 1898, la première pièce de collection de mon père, où il n'y a pas de chaîne, quand on la regarde, il y a un côté épuré, élégant, presque sensuel", clame-t-il, l’œil encore émerveillé, malgré de nombreuses années de vie commune avec la bicyclette en question.

Chaque vélo présenté est en parfait état de marche. "Des objets à 95% d'origine, de l’authentique, comme dirait Pagnol. Ce n'est pas la quantité qui compte, mais la beauté". Ici pas de contrefaçon, idem pour les maillots, chacun d'entre eux est tracé, pour suivre le chemin parcouru jusqu'à Cambo-les-Bains.

"Une aberration mécanique mais ça m'intéresse"

Avec sa collection, Henri Breuillé peut vous faire un cours sur l'évolution du vélo, du grand-bi aux années 1970. L'occasion de s'extasier devant quelques pièces de la fin du XIXe siècle, comme ce vélo avec un seul frein à l'avant et une lampe acétylène, "plus pour faire peur aux animaux que pour s'éclairer", dit-il en rigolant. Ou celui-ci, où il fallait pédaler en arrière pour passer les bosses sur un plus petit développement. "Une aberration mécanique mais ça m'intéresse, avant d'arriver à un dérailleur il a bien fallu passer par des périodes de bégaiements".

On avance dans l'allée en suivant les progrès techniques. Voici les Années folles. Des vélos de compétition qui pèsent encore 15-16 kilos. Jantes en bois et un pignon de chaque côté d'une roue qu'il faut tourner, si l'on veut changer de braquet. "Alors que le dérailleur existe ! ", tient à rappeler notre guide. Mais le père Desgranges a une certaine idée du sport cycliste et il sera interdit sur le Tour de France jusqu'en 1937. Henri Breuillé en profite pour remettre les pendules à l'heure quelques vélos plus loin, devant un vélo des années 30 et son dérailleur Super Champion. "Shimano aurait inventé l'indexation plus tard, mais là on a bien trois crans sur la manette pour passer les trois vitesses".

Au delà du sport

Puis vient à nouveau la guerre et au détour d'un vélo, les histoires de champions ou de héros du Tour de France s’effacent tout à coup devant la sombre réalité des années d'occupation. Le temps des passeurs et des réseaux de résistance pour passer la frontière, à quelques kilomètres de là. "Un jour une dame du coin m'apporte une bicyclette qui risque de finir dans une décharge et me raconte son histoire. Le père d'une famille juive qui avait réussi à fuir vers l'Espagne avec ses proches, avait remercié les membres du réseau en leur offrant chacun un vélo, qu'il avait fait faire chez Elvish à Pau. Il avait remarqué qu'il s'agissait essentiellement de paysans, habitants la montagne et leur avait donc fait monter des double plateaux, une rareté à ce moment là et des pneus larges pour les chemins caillouteux d'alors". Du gravel avant l'heure et surtout du haut de gamme. "Ces vélos représentaient alors trois mois de salaire moyen et il en avait offert 6 ou 7".

Elvish, un nom qui fleure bon l'histoire du vélo. La manufacture de Pau, disparue dans les années 80, équipa des champions locaux comme Victor Fontan ou plus tard Marcel Queheille, fabriquant à une époque jusqu'à 1200 bicyclettes par mois. Elvish c'était aussi le vélo du quotidien, avec son célèbre "demi-course", comme on disait alors.

Nous suivons notre guide, nous rapprochant peu à peu du vélo moderne. Les doubles plateaux arrivent, les tous premiers cadres alu aussi, pas encore vraiment allégé au niveau du poids. "Jusque là le matériel est français, italien ou anglais, puis Shimano fait son apparition". Les prémisses d'une certaine mondialisation.

A l'étage, des trésors sommeillent, en attendant d'être exposé à leur tour. "Viens, je vais te montrer le tout dernier cadre utilisé par Louison Bobet". Au soir de sa vie, sur la Côte Basque, Bobet ne rechignait pas aux sorties dominicales avec son ami Darrigade, son frère Jean et Gérard Capdeboscq, l'ancien professionnel biarrot, reconverti marchand de cycles. "Un cadre René Herse, de la haute couture comme on en fait plus aujourd'hui".

Maillots mythiques

Côté maillots, si la collection démarre plutôt après la seconde guerre mondiale, elle n'en n'est pas moins chargée d'histoire, avec des reliques qui n'ont rien à envier au culte des saints. Pour Henri Breuillé, il s'agit le plus souvent d'histoires de rencontres et d'amitiés. "J'ai eu la chance de connaître Claude Escalon, lorsqu'il était directeur sportif de l'ACBB et venait ici à l'Essor Basque dans les années 80. Je lui ai rendu des services et un jour pour me remercier, il me dit qu'il allait m'offrir 'deux ou trois petites bricoles' pour mon musée". En guise de "bricoles", un maillot de champion du monde porté par Tom Simpson, un autre de Champion de France de Jean Stablinsky, un maillot à pois de Robert Millar sur le Tour 84 et enfin celui que portait Jacques Anquetil lors du GP des Nations, son royaume, en 1961 ! Henri Breuillé y a joint une photo religieusement encadré de Maitre Jacques, lors de cet exercice solitaire où il relégua son dauphin, le belge Gilbert Desmet, à plus de 9 minutes.

Comment ne pas avoir une pensée émue face à la tenue irisée de Tom Simpson, qui s'écroula tragiquement sur le bitume étouffant du Ventoux, deux ans après son sacre à Lasarte, au Pays Basque. Le britannique avait porté les couleurs mythiques de l'ACBB chez les amateurs. "Pour les remercier, il avait offert ce maillot à Mickey Wiegand, directeur sportif du club" ajoute Henri Breuille.

Les maillots qui ornent ces murs (tous offerts) ont été porté par des coureurs de divers époques. De Jan Janssen à Fabio Aru, en passant par Charly Grosskost, Laurent Jalabert ou Albert Contador. Flâner devant cette collection, c'est voir défiler une ribambelle de marques qui auront fait l'histoire du vélo. De Wolber à Système U, en passant par Bic ou Flandria, jusqu'aux maillots actuels. Tous ces bouts de tissu ont une âme.

Les pros du coin ont bien sûr également laissé leur paletot en souvenir, et Francis Lafargue, le complice de toujours, a enrichi la collection de tuniques d'Indurain ou Delgado. Mais un certain maillot Heylet-St Raphael a les faveurs d'Henri Breuillé. "Ah celui-là il a été porté par Marcel Queheille, notre idole évidement". Queheille "le diable rouge", son ami de longue date, vainqueur de la 9e étape étape du Tour 59 à Bayonne, grimpeur téméraire qui aura côtoyé tous les géants de cet âge d'or du cyclisme et parfois même titillé Charly Gaul ou Federico Bahamontes, dès que la route s'élevait.

L'anniversaire de Poupou et quelques grands noms

En 2018, un certain Raymond Poulidor avait fêté ici son anniversaire, en compagnie notamment, d'André Darrigade, Marcel Queheille et Robert Cazala, ses frères d'armes de l'époque, ou de Jean-Paul Olivier. Un coin Mercier avait été aménagé pour l'occasion dans l'entrée. "Il avait été très touché, versant une petite larme. J'ai découvert quelqu'un de très agréable, avec beaucoup d'humour et pas du tout moi je". Jean-Marie Leblanc, Pedro Delgado ou Jose Miguel Echavarri sont aussi passés par là. Marc Madiot également, lors de l'Essor Basque l'an dernier. "Je l'avais invité à boire le café et il n'arrivait pas à décoller, alors que Christian Bibal, l'organisateur le cherchait partout ! Jamais tu aurais du m'amener ici, répétait-il, absorbé qu'il était, en véritable passionné", explique un Francis Lafargue encore hilare.

Henri Breuillé offrant un cadeau a Raymond Poulidor, sous le regard de Jean-Paul Olivier.

"On oublie pas non plus nos amis disparus", ajoute ce dernier, comme en témoigne les photos de Dominique Arnaud ou Denis Labarthe accrochée près d'un petit comptoir propice à l'amitié. C'est en effet une bande de copains, celle des "géants de la croûte", expression empruntée à Antoine Blondin, qui se réunie parfois ici.

Si son musée lui prend beaucoup de temps, Henri Breuillé n'en oublie pas moins ceux qui, très loin de là, n'auraient jamais l'occasion d'enfourcher un vélo sans un coup de pouce du destin. "Avec Jean-Michel Sorhouet, de Larresore, nous récupérons des vélos pour les envoyer au Burkina Fasso et au Bénin, plusieurs fois par an. Ils partent avec du matériel médical, des ordinateurs et des objets divers. Là bas ils permettent à des enfants d'aller tous les jours à l'école".

Des photos pour l'éternité

Le long des murs, on peut également admirer tout un tas de photos anciennes, témoin d'une époque aujourd'hui révolue de ce côté du Pays Basque. "Ici il n'y a pas la culture vélo, alors nous sommes un peu les irréductibles gaulois", témoigne un peu nostalgique le maître des lieux. Reste alors les souvenirs, comme cet admirable cliché des années 20, celui d'une course de non licenciés ici même à Cambo-les-Bains. De jeunes hommes posant fièrement, sur leur modeste bicyclette, souvent dans des tenus de fortune, mais qui ont écrit à leur manière et sans le savoir, la légende du vélo. "Celui qui m'a offert cette photo, il est dessus, ici, un gamin à l'époque et il m'a donné le nom de tous ceux qui étaient là". Archiviste dans l'âme, Henri Breuillé les a précieusement conservé.

L'anecdote incarne bien l'esprit qui anime cet endroit et la démarche d'Henri Breuillé et de son compère Francis Lafargue. "Dans notre quête de patrimoine, en parallèle du musée, nous avons récupéré beaucoup d'archives, de résultats pour essayer de retracer toute l'histoire du vélo ici, depuis la fin du XIXe siècle jusqu'aux années 2000. Des deux vélodromes de Bayonne, aux étapes du Tour ou de la Vuelta, en passant par toutes ces courses amateurs aujourd'hui disparues, il y a toute une histoire. L'idée ce n'est pas de garder pour nous, mais de la transmettre désormais", résume l'ami d'Indurain et Delgado. A ses côté, Henri Breuillé acquiesce. Avec des passionnés comme eux, gageons que cette mémoire saura être préservée et surtout partagée.

Par Ximun Larre, crédits photos: Henri Breuillé, Marc Mittoux, Ximun Larre.

Si le cœur vous en dit, n'hésitez pas à faire une halte à Cambo-les-Bains. Sur la place de l'église, Henri Breuillé ouvre ses portes tous les matins, toujours prêt à partager sa passion.

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