L’UCI a-t-elle tué sa propre course aux points ?

L’UCI a-t-elle tué sa propre course aux points ?

En voulant rééquilibrer son barème de points et apporter de la stabilité aux équipes, l’UCI a sans doute bercé un peu dans la précipitation sans envisager toutes les conséquences des nouveaux règlements. En fermant encore un peu plus le cercle des meilleures équipes mondiales et restreint l’accessibilité aux meilleures courses, elle a peut-être mis en place des conditions qui auront raison du suspense, de la prise de risque et de la compétence stratégique des plus petites équipes. À dessein ou pas, l’instance internationale tend à revenir à une ligue fermée dès la fin de sa première course aux points de trois années qui, quoi qu’on en pense, a suscité de l’intérêt parmi les fans de vélo.

Une annonce cohérente mais tardive

Vendredi 23 décembre, l’Union Cycliste Internationale, à la surprise générale, a annoncé des modifications dans son barème de points. Réajusté pour coller davantage à la réalité et remettre de la cohérence entre la récompense comptable et le prestige associé aux différentes épreuves, ce nouveau barème a le mérite de prendre en compte les critiques des équipes, coureurs et observateurs de tous bords. Le timing est en revanche plus discutable et nombre d’équipes concernées par la lutte pour la relégation ou la promotion ont dû avaler de travers cette bombe lâchée juste avant Noël, bien trop tard pour adapter leur recrutement ou leur stratégie sportive aux nouveaux enjeux.

Outre le nouveau barème, l’UCI a aussi annoncé quelques nouvelles règles : ce ne sont plus les scores des 10 meilleurs coureurs de chaque équipe qui sera pris en compte, mais celui des 20 meilleurs scoreurs. Autrement dit, les deux tiers des effectifs des formations World Tour et la quasi-totalité des effectifs des Pro Teams seront pris en compte, réduisant le nombre de « jokers ». Enfin, une « modification temporaire » est venue compléter le communiqué de l’UCI : « Pour la saison 2023, une UCI ProTeam ayant perdu son statut d’UCI WorldTeam à la fin de la saison 2022 […] recevra obligatoirement des invitations aux épreuves […] de l’UCI WorldTour » à l’exception des trois Grands Tours. L’Union Cycliste Internationale vient donc de rédiger une mesure exceptionnelle dont la durée de vie n’est que d’une saison, et qui, par sa formulation anormalement spécifique, ne s’applique qu’à l’équipe Israel-Premier Tech. Cela doit lui permettre de ne pas trop subir les conséquences d’une relégation qui, depuis trois saisons, a été vendue par l’UCI comme une réforme permettant de remettre le critère sportif au centre des enjeux. Sacré rétropédalage.

Avec quelles conséquences ?

La modification du barème corrige une imperfection : la prépondérance des « petites courses » d’un jour dans le classement UCI. Ainsi, les étapes des Grands Tours, par exemple, seront plus généreusement dotées, à la hauteur de ce qu’elles représentent symboliquement. Il en va de même pour toutes les épreuves World Tour. Le classement UCI reflétera par conséquent davantage la réalité du niveau de chaque équipe, désormais, ce qui est indéniablement une bonne chose. Les perdants seront les petites Pro Teams qui bénéficient de moins d’invitations en World Tour et dont la participation à un Grand Tour dépend déjà des choix des meilleures Pro Teams. Les organisateurs des petites courses qui, pour de mauvaises raisons il faut bien le reconnaître, ont bénéficié en 2022 de l’intérêt d’équipes et de coureurs qui les délaisseront sans doute à nouveau à partir de 2023, sont aussi à classer parmi les acteurs qui ne bénéficieront pas de ces nouveautés.

La prise en compte des totaux des 20 meilleurs coureurs de chaque équipe répond là encore à un débat légitime : la valeur d’une équipe se mesure-t-elle à ses meilleurs résultats, ou à la densité de son effectif ? Et quand bien même les deux réponses seraient acceptables, cette densité doit-elle se mesurer sur 20 coureurs ? Toujours est-il qu’avec ces nouvelles dispositions, les équipes World Tour dont l’effectif compte 28 à 30 coureurs, partent mieux armées que les équipes des divisions inférieures. Divisions dans lesquelles tout le monde n’est pas sur un pied d’égalité, d’ailleurs : en Pro Teams, seules Lotto-Dstiny, Israel-Premier Tech, Uno-X, Bardiani et TotalEnergies comptent plus de 25 coureurs. Et ce n’est pas le timing des annonces de l’UCI qui a permis aux autres écuries de s’équiper en conséquence.

Or, avec un classement sur trois saisons, celles qui ne seront pas dans la course fin 2023 auront très peu de chance d’y faire leur entrée lors des deux années suivantes. Cette règle est donc un nouveau cadeau aux « grosses » Pro Teams qui avaient pourtant déjà un avantage : le droit, pour les deux meilleures équipes de deuxième division, d’avoir un calendrier à la carte au niveau World Tour. Un avantage qui, avec la simple modification du barème, aurait déjà été réhaussé puisque les épreuves World Tour vont payer davantage. Autrement dit, Lotto, Total et donc Israel, concernées par cette règle en 2023, ont le beurre et l’argent du beurre. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant de voir la formation belge revenir sur sa non-participation annoncée au Giro, du moins si elle pense que la remontée en World Tour doit réellement être son objectif, ce qui est de plus en plus contestable quand on constate le « confort » dont bénéficient les meilleures Pro Teams. Pas obligées de voyager en Australie, aux Emirats, au Canada ou en Chine sur des épreuves qui ne leur correspondent pas forcément, elles peuvent si elles le souhaitent prendre part aux plus grandes courses et compter sur un effectif aussi large que celui des World Teams. La position de meilleure Pro Team devient presque plus enviable qu’une place dans le gratin mondial.

Une autre conséquence de cette règle pourrait se constater dans la part de risque prise par les équipes. À titre d’exemple, TotalEnergies, que l’on peut envisager comme une candidate crédible au World Tour à l’horizon 2025, se cantonne par exemple à un effectif de 25-26 coureurs chaque année, ce qui ne lui laisse que peu de « jokers », c’est-à-dire de coureurs dont les faibles résultats n’ont pas d’incidence sur l’équipe. Dès lors, l’équipe continuera-t-elle de faire confiance à autant de jeunes de Vendée U dans les années à venir, en sachant qu’ils scorent rarement beaucoup dès la première année (Sandy Dujardin faisant figure d’exception). Ne leur préférera-t-on pas des coureurs un peu plus expérimentés qui, dès leur arrivée, assureront à l’équipe quelques points bienvenus ? L’objectif de formation de certaines équipes pourraient ainsi être revu un peu à la baisse si la nécessité de points l’exige.

Autre possibilité dans le contexte actuel : la nécessité d’avoir 20 bons scoreurs pourrait peut-être permettre à un ou deux coureurs victimes de l’arrêt de l’équipe B&B Hôtels de retrouver un contrat sur le tard. Par ailleurs, puisque deux fois plus de coureurs auront un intérêt à marquer des points qu’auparavant, il se peut que deux fois plus de coureurs choisissent de faire leurs chronos à bloc ou, plus inquiétant peut-être, de prendre part à un sprint. L’inquiétude pour la sécurité est toutefois à relativiser : rares sont les équipes qui peuvent amorcer un sprint avec plus de 3 ou 4 coureurs encore présents, ce qui était déjà le cas lorsque seuls 10 coureurs étaient pris en compte. De plus, un coureur capable de prendre tous les risques pour quelques petits points UCI est un coureur qui, de toute façon, prendra des risques pour faire une place, peu importe le règlement.

Enfin, pour revenir aux conséquences sur les équipes, la règle sur-mesure permettant à Israel-Premier Tech de choisir son calendrier n’aura vraisemblablement que peu d’incidence. Avec dans son effectif des coureurs de qualité, bien que vieillissants, la formation avait déjà des arguments qui auraient convaincu nombre d’organisateurs d’épreuves World Tour de leur accorder une invitation. Néanmoins, appuyer cette quasi-certitude par une décision règlementaire aux allures de dérogation, et même si cette mesure n’est censée s’appliquer qu’en 2023, envoie un message clair : l’UCI souhaite que les conséquences d’une relégation en Pro Teams ait le moins de conséquences possible sur les équipes concernées.

Le facteur Uno-X

Puisque les World Teams restent protégées pour trois années, le principal enjeu devient pour les Pro Teams de briguer l’une des deux meilleures places de seconde division pour avoir chaque année un calendrier à la carte. Or, seules trois équipes (Israel, Lotto et Total) semblent pouvoir se les partager, d’autant que toutes les trois pourront choisir leurs épreuves cette année contrairement à leurs rivales. Chaque année, une seule de ces trois équipes resterait donc sur le carreau - à condition que la mesure « Israel » ne rentre pas de manière pérenne dans le règlement et n’assure aux trois les invitations automatiques. La seule trouble-fête crédible pourrait bien être Uno-X qui, avec un objectif de World Tour clair, un recrutement en conséquence et un effectif fourni, pourrait notamment inquiéter TotalEnergie qui s’est (trop ?) fixé une limite de 25 coureurs pour la saison qui vient.

Il n’est pas certain que le renforcement de ces avantages à ces quelques équipes ravissent les dirigeants de Tudor, Human Powered Health ou encore Q36.5 qui, sans avoir d’objectif affiché de montée en World Tour pour le moment, amorcent en tout cas cette nouvelle période de trois années avec un braquet limité. Sans parler des équipes espagnoles ou italiennes, de Black Spoke ou de Bingoal qui, par leur calendrier, sont d’ores et déjà assurées de ne pas entrer dans la danse, bien que cela ne fusse déjà pas leur objectif dans les anciennes conditions.

Ligue ouverte ou fermée, l’art de ne pas trancher

Le modèle de montées-descentes proposé par l’UCI ne concernait déjà que quelques écuries. Désormais, la lutte semble définitivement inaccessible à bon nombre d’équipes. Et comme les perdants de cette lutte, en étant les meilleures Pro Teams, bénéficient des mêmes règles de jeu que les gagnantes (sinon meilleures), il y a de fortes chances qu’on aille de plus en plus vers une ligue fermée de facto. Dès lors, le suspense créé par la course aux points ne sera plus, ou bien moins important. Or, c’est tout l’intérêt d’une ligue ouverte.

Si on ne veut pas des avantages sportifs d’une ligue ouverte, auxquels on préfère les avantages de stabilité économique apportés par un modèle fermé, pourquoi maintenir ce semblant de compétition sur critères sportifs entre quelques équipes ? Si c’est vers une ligue fermée que l’UCI veut aller, il serait certainement plus sain que cela soit assumé, plutôt qu’insinué par des mesurettes à la carte rédigées a posteriori de la compétition.

Par Cyprien Bricout

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