Interview : Morgan Saussine (XDS-Astana) « Utiliser la data comme une aide à la décision »

Interview : Morgan Saussine (XDS-Astana) « Utiliser la data comme une aide à la décision »

Vingt-et-unième du classement UCI au mois de janvier, XDS-Astana est en passe de réussir l’exploit de se maintenir malgré près de cinq mille points de retard sur ses plus proches poursuivants. La clé de cette réussite ? Un effectif renouvelé et un calendrier optimisé. Un calendrier dont a pris part Morgan Saussine, data scientist français, arrivé l’an passé au sein de la formation kazakhe. Nous avons fait le point avec lui sur son rôle important au sein de l’équipe.

Pouvez-vous, tout d’abord, nous résumer votre parcours ?

J’ai un parcours maths, finances et codage. J’ai travaillé dans la finance pendant dix ans. Déjà dans le monde de la performance, mais financière. Puis j’ai décidé de changer. J’étais un cyclisme amateur, mais pas avec le niveau de watts qu’on peut analyser aujourd’hui (rires). J’étais très intéressé par la physiologie. J’ai décidé de garder le codage, les statistiques, mais de remplacer la finance par ma passion qui est le vélo.

J’ai eu l’occasion l’an dernier de collaborer sur le « Projet 35 » de Mark Cavendish avec Vasilis Anastopoulos qui venait de rejoindre l’équipe et qui avait un besoin sur la partie « data » et analyse. Ça a été mon premier pas et ça s’est plutôt bien passé. Avec l’arrivée du nouveau sponsor XDS, Alexandre Vinokurov et Vasilis Anastopoulos ont voulu ouvrir un nouveau poste sur la partie « data » au sein du pôle performance, c’est ce qui m’a amené ici aujourd’hui. 

Vous évoquiez le « Projet 35 ». Quel a été votre rôle exactement ?

C’était d’optimiser la performance de manière globale. J’étais là pour analyser ce que la staff voulait sur le moment que ce soit sur le sprint, la dépense énergétique. Il y a eu plusieurs points au cours de l’année, le but était d’utiliser la data comme une aide à la décision. Cela reste un outil car on a la chance dans l’équipe d’avoir un pôle performance et un staff qui a une très bonne expertise. Mais ça leur a permis de s’appuyer sur une analyse plus basée sur les calculs et de leur faire gagner du temps.

Aujourd’hui, quel est votre quotidien ?

Pour bien comprendre une semaine type d’un « data scientist » dans une équipe, c’est pas mal de comprendre le besoin de la donnée dans le vélo en général. Ce n’est pas nouveau la donnée dans le vélo, les coachs n’ont pas attendu les « data scientist » pour analyser les entraînements. C’est la même chose pour les directeurs sportifs sur les courses.

Le pôle performance est habitué à la donnée, ils l’utilisaient pour leur besoin spécifique. Ce qui est un peu nouveau désormais, c’est qu’il y a une personne qui va se charger de toute sorte d’analyse. De l’extraction de données, le nettoyage de données, la collecte. Au-delà de ça, il y a les calendriers, les courses et les résultats. Ce qui peut toucher à la logistique. Puis il y a les capteurs, tout ce qui est attrait aux coureurs. Il faut une personne capable de récolter toutes ces données à la même place, les structurer et les nettoyer pour ensuite laisser place à un deuxième type de poste qui serait plus de la « data analyse ». Une fois que les données sont au même endroit, on peut ensuite faire des analyses. Ça peut passer par la création d’un dashboard qui va être utilisé par le pôle performance. Enfin le troisième volet est la partie « data scientist » où on va également utiliser les données mais plus pour faire des modèles de prédictions. Je vais intervenir en tant que support sur l’ensemble du pole performance. J’insiste bien sur le mot supporter » car l’intérêt est toujours de développer des outils qui vont venir en aide à la décision. Ce n’est pas fait pour remplacer un coach, ça l’aide et ça lui fait gagner du temps. Il peut s’appuyer sur des faits et des chiffres.

Concernant la partie prédiction, Alexandre Vinokourov a déclaré, en janvier dernier, dans le journal l’Equipe, avoir eu recours à l’intelligence artificielle pour établir le calendrier de courses. Qu’en est-il exactement ?

Je ne vais pas trahir de secret, mais en fin de saison dernière l’objectif était de marquer un maximum de points. On n’a pas attendu mars pour s’en rendre compte, dès la préparation hivernale on était focus là-dessus. Une de mes tâches a été de développer un outil et des analyses pour aider dans l’établissement du calendrier. Évidemment, on ne peut pas faire toutes les courses il a fallu faire des choix. On a des coureurs avec certaines spécificités, l’idée était d’arriver à optimiser notre calendrier. Il y a eu un boulot énorme de Vasilis (Anastopoulos) et Maurizio (Mazzoleni) là-dessus, cela a plutôt bien marché sur le début de saison.

Justement, en l’espace de cinq mois XDS-Astana est déjà revenu à hauteur de PicNic qui avait plus de cinq mille points d’avance en début de saison. Peut-on dire que vous êtes en avance sur votre feuille de route ?

C’est vrai que la saison est bonne. Après, les prédictions vous savez comme on dit : « tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles ». C’est assez vrai, on peut faire plein de prédictions mais à la fin la magie du vélo fait qu’on ne peut pas tout prédire. Est-ce que les jambes sont là ? Il y a la facteur chutes et blessures. Christian Scaroni en est le parfait exemple. Par contre, on peut essayer de réduire le maximum de variables inconnues pour essayer de performer au mieux.

Aujourd’hui, chaque équipe a un « data scientist » ?

Pas encore, ça ne fait pas dix ans que ce métier existe mais je ne suis pas le premier pour autant. C’est en train de se développer petit à petit.

Vous indiquiez tout à l’heure que votre rôle touche aussi à la logistique. À quel titre ?

On va être là sur des automatisations. Au final, il y a beaucoup de courses. Il faut envoyer des papiers, récolter des documents. Il y a aussi le service courses. Il y a en fait plein de pôles. On revient sur un métier qui est hybride. On n’est pas là sur de la pure « data science », ce n’est pas le cœur de mon métier mais si ça peut aider c’est important.

Êtes-vous en lien direct avec les coureurs ?

Parfois, ça peut arriver. Dans les camps d’entraînement on peut discuter avec eux. Mais mon rôle principal n’est pas d’être sur les courses même si j’essaie d’y aller car je pense que pour être un bon « data scientist » dans le vélo il faut aussi avoir une bonne connaissance de celui-ci. Sans ça, c’est très compliqué d’appréhender ce sport. Il y a des dynamiques de courses à connaître. Cependant, la plupart du temps je suis quand-même derrière mon PC et c’est là que je suis le plus utile. Je suis surtout en relation avec le pole performance. Un coach peut avoir une demande particulière, ça peut être un directeur sportif ou un nutritionniste. C’est aussi l’avantage du poste qui est assez hybride. Alors je suis moins expert que chacun dans chacun de leur domaine, par contre je peux parler leur langue. C’est un gros avantage. Par exemple un nutritionniste va parler avec ses termes, un coach avec les siens. L’essentiel est de les comprendre afin de pouvoir répondre à leurs besoins.

Au-delà des chiffres qui sont universels, comment communiquez-vous au quotidien en tant que français au sein de l’équipe ?

On parle anglais. Alors c’est assez cosmopolite car il y a pas mal d’italiens aussi, mais la langue dans les meetings est l’anglais. Après, quand je suis à côté d’un français j’ai quand-même le droit de parler français (rires).

L’équipe est actuellement sur le Giro. Êtes-vous en relation avec eux ?

Il y a des échanges, oui. Pour analyser comment se sont passées les étapes, pour apporter des outils aux coachs et aux directeurs sportifs. Mais encore une fois et j’insiste là-dessus c’est juste une aide à la décision. Après, on ne peut pas encore faire remonter les données en « live ». Est-ce que d’ici quelques années un virage sera pris ? Ça on ne le sait pas. Mais même sans ça des analyses peuvent être faites et demandées par le pôle performance.

Selon le « data scientist » que vous êtes, qui va gagner le Giro 2025 ?

(Rires) C’est une bonne question. C’est assez serré et c’est intéressant à suivre.

Isaac Del Toro est pour le moment impressionnant (interview réalisé samedi 24 mai 2025) mais la troisième semaine va être très difficile. UAE a toutefois une très grosse équipe et ça peut jouer pour eux.

Nous aussi on performe plutôt bien avec le maillot rose qu’on a pu porter une journée plus le maillot bleu de Fortunato.

C’est intéressant et j’aurais du mal à donner un vainqueur.

Enfin dernière question, l’équipe XDS-Astana va t-elle se maintenir ?

On fait tout pour, et pas depuis hier. Même si on est revenu à hauteur de nos concurrents, je n’ai pas senti de relâchement. Tout le monde avait conscience du dilemme qu’il y avait face à nous et tout le monde a tiré dans le même sens. Cela explique les bons résultats et ça continue. On ne va pas arrêter ce qu’on a entrepris car la bagarre fait encore rage. On est plus motivés que jamais.

Propos recueillis par Alexandre Paillou

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