Interview : Dmitriy Fofonov "On est parti pour une année blanche"

Interview : Dmitriy Fofonov "On est parti pour une année blanche"

Interview. Dmitriy Fofonov (Manager de l'équipe ASTANA PRO TEAM) : "On est parti pour une année blanche"

Confiné à Clermont avec sa femme et ses deux enfants, Dmitriy Fofonov a profité d'un moment pour faire le point avec nous sur cette période particulière pour le milieu cycliste. Pour le manager de l'équipe Astana Pro Team, 2020 pourrait bien être une année blanche.

C'est une situation difficile pour les coureurs...

C'est dur pour tout le monde, et pour eux plus particulièrement. Les Colombiens étaient rentrés chez eux espérant avoir un petit peu plus de souplesse de la part des autorités afin de s'entraîner à l'extérieur, mais le virus ne s'est pas arrêté là-bas. C'est partout pareil, au Kazakhstan, en Russie, en Espagne, en Italie.

Quels liens avez-vous avec eux ?

On est en contact permanent. On fonctionne par groupe à savoir que chaque directeur sportif a un nombre défini de coureurs. C'est pareil pour les médecins. On essaie d'organiser avec notre partenaire « Tacx » des sorties groupées (on a vu également plusieurs coureurs de l'équipe prendre part au Giro virtuel). On peut faire avec ce logiciel des reconnaissances de parcours qui sont vraiment valables. J'ai essayé moi-même, c'est vraiment comme sur la route. C'est efficace. On essaie de s'amuser comme on peut. Après, difficile d'avoir des objectifs précis. On maintient le physique pour être prêt le moment venu.

Des membres de l'équipe ont-ils été touchés par la maladie ?

Sur l'UAE Tour, un soigneur kazakh est tombé malade. Il est resté à l’hôpital quelques semaines et a pu rentrer chez lui en Allemagne après sa guérison. On est resté tout le temps en contact, ce n'était pas facile. Puis on a un médecin qui habite en Allemagne également. On sait qu'ils sont en première ligne puisque lorsqu'ils ne sont pas avec l'équipe ils oeuvrent souvent dans des hôpitaux. C'est là qu'il a attrapé le virus. Mais c'est resté plutôt bénin. Il n'a eu que de la fièvre.

Pour l'instant, toutes les courses jusqu'à juillet ont été annulées ou reportées. Quand peut-on espérer selon vous un retour à la compétition ?

On ne sait pas. Ça se décale au fur et à mesure. Il y a des réunions, des plans « a », des plans « b ». Mais après tout ça dépend de l'évolution de la pandémie.

Le départ du Tour de France a été décalé au 29 août. Pensez-vous que la course pourra avoir lieu ?

Je ne veux pas être pessimiste, mais la situation est quand-même grave. Puis il y a plein de questions qui se posent. Est-ce qu'on doit le faire à huis-clos ? Ça, on ne l'imagine pas. Puis avec la fermeture des frontières, qui va pouvoir y participer ? Il y aura des coureurs qui seront coincés dans les différentes parties du monde. Niveau préparation, est-ce que les coureurs auront les moyens d'être prêts pour le départ du Tour ? Quel sont les attentes des organisateurs ? Même s'il n'y a pas de spectateurs, on devra quand-même passer dans des hôtels, dans des restaurants. On sera quand-même en contact avec des personnes et on ne pourra pas savoir si ces personnes seront contaminés ou pas. Imaginez, on est à la fin de la deuxième semaine du Tour de France et lors du jour de repos un coureur est malade. Qu'est-ce qu'on fait ? Puis outre les coureurs, il faut penser au staff qui est nombreux. Alors si ce n'est pas trop grave, passe encore. Mais imaginons le pire. Les conséquences pourraient être terribles. Pour moi, si le Tour de France doit partir, il faut que la situation soit régularisée.

Beaucoup d’organisateurs ont repoussé leurs courses à cet automne. Ça ne risque pas de faire embouteillage ?

Il faut mettre en priorité les courses World Tour. Il n'y a pas de petites courses, mais ça va être mission impossible de tout conserver. Je pense que pour l'attente du public, des sponsors, il faut se concentrer sur les courses les plus importantes.Tout le monde doit jouer le jeu. J'ai entendu que des organisateurs de GT ne voulaient pas raccourcir leur épreuve d'une semaine. Ça va être un gros débat avec l'UCI qui devra faire bouger les choses. On est sur une année exceptionnelle, pour ne pas avoir carrément une année blanche je pense qu'il faut partir sur des Grands Tours de deux semaines.

D'un point de vue économique, cette crise sanitaire risque d'avoir des conséquences terribles pour les équipes cyclistes ?

Pour tout le monde professionnel en général. On est tous sur le même bateau. Chaque équipe est une entreprise. On a vu que l'équipe CCC était déjà en difficulté. Il faut prendre des mesures pour survivre jusqu'au moment où l'on pourra avancer tous ensemble à nouveau. En interne, on a décidé de notre côté de baisser les salaires jusqu'à 30% pendant la période de non activité. On a fait une conférence tous ensemble : les coureurs, le staff et le personnel. Tout le monde a accepté de jouer le jeu. C'est le minimum que l'on puisse faire pour sauver la situation.

L'équipe Astana aura t-elle les reins assez solides pour surmonter cette épreuve ?

Oui, on est plutôt confiant.

À titre personnel, pensez-vous vraiment qu'on reverra du cyclisme cette saison 2020 ?

Au début, j'étais plus positif. Je me disais qu'on allait reprendre au Dauphiné et au Tour de Suisse. Sincèrement, je pense qu'on va passer une année blanche. Si on repart au mois d’août, ce sera déjà une très bonne chose. Mais bon, il faut surtout survivre et commencer à penser à la saison prochaine.

Propos recueillis par Alexandre Paillou (@Bettini photo)

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