Adrien Buttafocchi, coureur populaire au destin tragique

Adrien Buttafocchi, coureur populaire au destin tragique

C’est vrai, Adrien Buttafocchi n’était le plus grand des champions ; pas de la trempe d’un René Vietto, dont il fut l’ami autant que l’équipier. Les qualités du Niçois étaient avant tout humaines. Unanimement apprécié pour sa gentillesse, sa générosité et sa modestie, son décès accidentel à l’été 1937 plongea le monde du cyclisme dans un abattement qui resurgit encore ponctuellement de nos jours…

Un tempérament offensif précoce

Né dans la capitale azuréenne le 18 septembre 1907, le garçon est en réalité baptisé Malachie. Ses parents préfèreront cependant utiliser son deuxième prénom, Adrien, ce que nous ferons donc également. Comme beaucoup de Niçois, Adrien Buttafocchi a des origines italiennes. Son père, Silvino, est ainsi né dans la province de Mantoue trente-six ans plus tôt. Après avoir franchi les Alpes, ce cocher de profession décide de quitter la Côte d’Azur pour Lyon, en quête d’une meilleure situation. Constance, son épouse repasseuse, ainsi que sa progéniture sont évidemment du voyage ; Adrien n’est alors qu’un enfant. C’est dans la capitale des Gaules que ce dernier va s’amouracher de la bicyclette. Et, dès l’âge de 12 ans, il goûte aux frissons de la compétition, alternant victoires, places d’honneur et déconvenues. Performant partout sans exceller nulle part, Adrien comprend rapidement qu’il ne pourra jamais rivaliser avec les meilleurs à la pédale. Dès lors, il affiche un esprit offensif qui deviendra une véritable marque de fabrique. Attaquant infatigable, il jouit dès sa jeunesse d’une grande popularité auprès du public, qui lui sait gré de ses efforts. Le public, souvent intransigeant avec les champions, est en revanche bienveillant à l’égard des humbles qui donnent tout sans recevoir beaucoup. Mais attention, Buttafocchi n’est pas un mauvais ! Puissant, offensif, il dispose également d’un sens tactique qui lui vaudra bien des succès. Ses places de 9e au Circuit de L’Express de Lyon en 1924 et de 15e au championnat de France amateur en 1926 sont d’ailleurs là pour prouver qu’il fait tout de même partie d’une certaine élite.

Adrien Buttafocchi, prophète en son pays

Appelé sous les drapeaux en 1927, le néo-militaire effectue son service dans un Maroc encore français. Après un an dans l’armée, il rejoint sa ville natale de Nice, où ses parents sont retournés s’installer. C’est là qu’il lance véritablement sa carrière. Durant les premières années, c’est d’ailleurs dans son Sud-Est fétiche qu’il obtient ses meilleurs résultats : Victoire sur le Grand-Prix de Nice (1930), 2e de Nice-Annot-Nice (1929 et 1931), Toulon-Nice ou GP de Cannes… Une régularité sans faille qui lui vaut une première sélection pour le Tour de France en 1931, dans la catégorie des touristes-routiers. Amplement suffisant pour ravir Adrien qui voit dans cette sélection une forme d’adoubement. Pourtant, la plus grande course du monde ne sera pas tendre avec le Niçois, qui ne verra jamais Paris en quatre participations. Il n’a pourtant pas à rougir de sa première apparition dans la Grande Boucle. Avec cinq étapes terminées dans le top 10 et un abandon à l’avant-veille de l’arrivée, il prouve qu’il a toute sa place dans le gratin mondial. Lors de l’édition suivante, il cumule également cinq tops 10, passant même à côté de sa plus grande victoire lors de la 8e étape, dans des circonstances qui lui laisseront d’infinis regrets. Le Tour part ce jour là de Montpellier pour rejoindre Marseille… Et à l’approche de « sa » Côte d’Azur, Butta se sent pousser des ailes. Comme très souvent, il est l'initiateur de l’échappée du jour, bientôt rejoint par Marcel Bidot, Herbert Sieronski et Michele Orecchia. Une crevaison du premier et un éclatement du pneu du second transforme le quatuor en duo franco-italien. Malin, le Transalpin laisse au Français l’intégralité du travail, ne prenant plus un relai dans les quarante derniers kilomètres. En ce dimanche ensoleillé, la ferveur impressionnante de la foule envers le Méridional le fait certainement courir de manière imprudente. Pourtant, malgré son abattage énorme, le Niçois entre en tête sur le vélodrome et ne semble pas pouvoir être battu. Malheureusement, sans doute émoussé mentalement, tout à sa joie, peut-être, devant cette victoire providentielle, il stoppe son sprint un demi-tour de piste trop tôt, laissant un Orecchia incrédule s’adjuger la victoire.

Après cette cruelle désillusion, Adrien se ménage quelques semaines de repos pour attaquer la deuxième partie de saison. Cette stratégie sera payante puisqu’il vaincra à quatre reprises en l’espace de deux mois : Nice-Annot-Nice, étape du Trophée de la Côte d’Azur, Circuit Eerta et Marseille-Nice. Des courses aujourd’hui oubliées qui réunissaient pourtant les meilleurs coureurs méridionaux et les meilleurs Piémontais (Orecchia, Gremo, Camusso…). Cette fin d’année 1932 permet à Adrien de faire montre de sa valeur et de prouver de quoi il est capable lorsqu’il est délesté de son sempiternel rôle d’équipier. La manière dont il gagne prouve aussi que le garçon exploite au mieux ses capacités. Avant tout réputé pour son esprit offensif, ce qui n’était pas un vain mot dans ces années-là, il jouit aussi d’une fameuse pointe de vitesse (le bonhomme faisait souvent de l’omnium) et d’une giclette des plus appréciables. Ses victoires sont souvent acquises face à des coureurs au pédigrée plus impressionnant, mais sa hargne et sa ténacité ont souvent raison de la résistance d’adversaires plus huppés. Pour paraphraser le célèbre Blondin de Sergio Leone, « le cyclisme se divise en deux catégories : ceux qui ont la classe et ceux qui souffrent ». Buttarocchi fait partie de la seconde catégorie, mais il sait souffrir comme peu de ses concurrents, ce qui lui confère un avantage que la classe seule ne suffit pas toujours à surmonter. Revigoré par sa fin de saison, l’Azuréen affiche résolument ses ambitions de victoires pour 1933. Mais son départ de Lutecia pour rejoindre les rangs de la prestigieuse Heylett Hutchinson ne servira guère son palmarès. Rejoindre une cylindrée supérieure nuira naturellement à ses ambitions personnelles. Il gagnera bien Marseille-Nice, mais courra essentiellement - de bon gré - pour favoriser les desseins de ses leaders.

Un équipier parfait qui sait aussi gagner

La saison 1934 sera du même acabit. Lors de Paris-Caen, il s’illustre superbement prenant la poudre d’escampette dès le début de journée et se retrouvant échappé avec Noret et Marcaillou. Les trois hommes s’entendent bien et se disputent la victoire au sprint. Parti de trop loin, emmenant un braquet trop petit, Butta doit se contenter de la 3e place sur le vélodrome du Mans. Une nouvelle fois, il manque une victoire de prestige qui lui tendait les bras…

En juin, Adrien Buttafocchi gagne sa sélection pour ce qui va être l’un des championnats de France les plus durs de l’histoire. Courue dans des conditions caniculaires, la course voit l’abandon de la plupart des favoris. Si c’est Raymond Louviot qui l’emporte, c’est encore une fois Buttafocchi qui lance les hostilités dès le départ. Il a en outre le mérite de faire partie des neuf coureurs à rallier l'arrivée. Une prestation méritoire qui lui offre sa place au Tour de France, son quatrième. Il y connaîtra le même sort que précédemment, avec un abandon dès la deuxième étape suite à une lourde chute qui lui vaut un doigt cassé et des blessures à la tête. La saison 1935 ne lui apportera pas de victoire, mais des accessits qui en font presque office : 12e de Milan San-Remo, il signe également deux podiums sur Paris-Nice avant de terminer 10e d’un Paris-Roubaix où il s’est mis à la planche pour ses leaders René Vietto et Maurice Archambaud. Toujours encensé par ses leaders, Adrien était affectueusement surnommé Grand-Mère. Une façon de souligner aussi bien ses rides précoces au coin des yeux que sa prévenance constante envers ses équipiers. Après avoir figuré notablement sur l’Enfer du Nord, le coureur méditerranéen file au Giro où il s’empare de la 3e place de la 1ère étape. Le seul Grand Tour qu’il finira, en 58e position. Quelques semaines plus tard, enfin, il monte sur la boîte lors d’une étape du Tour de Suisse.

Le "masseur en chef" du Tour 1935 au chevet du blessé

Bien décidé à lever les bras, Adrien aborde la période hivernale gonflé à bloc. Et les résultats suivent. Il ne brillera certes pas dans les plus grandes courses auxquelles il participe en 1936, mais il renoue avec la victoire dans des courses de moindre prestige. Le 19 avril, il remporte par exemple le Grand Prix de Haute-Savoie en attaquant dans une bosse peu avant l’arrivée. Le 23 août, il s’impose sur la 1ère étape du circuit de l’Ouest disputée entre Rennes et Le Mans. A l’attaque dès Fougères, c’est finalement dans les rues du Mans qu’il parvient à se détacher au sein de la bonne échappée. Il dispose facilement de Louis Hardiquest et Fabien Galateau au sprint et endosse le maillot jaune, pour une petite journée. Car le lendemain, malgré une attaque dès le premier kilomètre, il finira à plus de dix minutes du vainqueur, plombé par les ennuis mécaniques.

La plus belle, puis le drame

1937. L’année fatidique. Tout commence pourtant très bien pour le Niçois. Troisième du Tour de Vaucluse en début de saison, il enchaîne par le plus beau succès de sa carrière sur Paris-Nice. Echappé avec Galateau dès le départ de l’étape Cannes-Toulon, il met à profit ses talents de puncheur pour s’isoler dans la côte de l’Estérel puis parvient à résister à ses poursuivants et s’offre une superbe victoire. Il enchaîne avec une nouvelle performance de choix lors du Circuit du Morbihan, où il prend la 3e place. Malgré ce bon début de saison, il n’est pas retenu par Henri Desgrange pour participer au Tour de France. La déception du garçon de 29 ans est à la mesure de l’espoir qu’il avait… Son état de forme et son expérience auraient pourtant certainement dû lui permettre de prendre part à sa cinquième Grande Boucle. Après avoir digéré la mauvaise nouvelle, Butta réorganise son calendrier. On le sait, il n’aime rien tant que courir dans le Sud. Comment s’étonner, dans ce cas, de le voir s’aligner au Grand Prix d’Antibes le 27 juin ? Local de la course, Buttafocchi entend bien figurer. Hélas, son destin le rattrape dans la descente du col de l’Esterel, celui-là même qui lui avait permis de forger son succès lors de la Course au Soleil quelques semaines auparavant… Malgré ses qualités notoires de descendeur, il ne peut éviter une voiture qui arrive en sens inverse. Survenue à plus de 80 km/h, la chute le plonge instantanément dans le coma. Sous la violence du choc, son bras et sa cuisse gauches sont déchiquetés. Mais il présente surtout des lésions crâniennes qui laissent craindre le pire. Transporté à l’hôpital de Cannes dans un état désespéré, le jeune homme ne se réveillera plus. Il est amputé de l’avant-bras gauche le lendemain après-midi, avant d’être transféré à la clinique Villa Constance de Nice. C’est là qu’il va s’éteindre en pleine nuit, entouré des siens. La nouvelle du décès du coureur produit une onde de choc dans le milieu. Cette « sympathique physionomie du cyclisme », comme l’écrit un chroniqueur de l’époque, va cruellement manquer dans les pelotons. Quelque jours plus tard, clin d’œil ironique du destin, la journée de repos du Tour de France se tient dans sa ville de Nice. Ses amis de l’équipe de France vont en profiter pour se réunir devant sa sépulture et lui rendre un hommage chargé d’émotions. Une manière pour Adrien Buttafocchi de marquer une dernière fois le Tour de France, mais certainement pas de la manière qu’il méritait.

Sylvain Marcaillou et Roger Lapébie fleurissent la tombe de leur ami Adrien durant la journée de repos du Tour 1937

Par David Guénel ( davidguenel)
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