Témoignage : Rudy Molard, son 1er Liège-Bastogne-Liège

Témoignage : Rudy Molard, son 1er Liège-Bastogne-Liège

Il faut toujours écouter les anciens. ce sont eux qui grâce à leurs expériences prodiguent les conseils les plus avisés et partagent avec le plus de bon sens leur vécu. Christophe Le Mével n’est certes pas un senior mais, à 33 ans il l’aime et la connaît, cette doyenne: «Le classement sur la Flèche Wallonne, c’est souvent à peu près le même sur Liège». Cette phrase sonnera comme un précieux présage auquel s'accrocher, tout au long de ces 263 kilomètres, ce 27 avril 2014, pour notre néo-liégeois.

 

Lui, c’est Rudy Molard, coureur chez Cofidis. Agé alors de 24 ans, il découvre pour la première fois ces courses ardennaises tant prisées des grimpeurs-punchers. C’est lui qui a demandé cette fois-ci d'intégrer dans son programme l’un des plus prestigieux monument du cyclisme. Souvenir de jeunesse qui confère à cette course au delà de son histoire une dimension particulière:  « Quand j'étais jeune j’ai été marqué par le duel Vandenbrouck - Bartoli en 99 ».

 

Mais tout ceci ne serait qu’une simple question d’histoire personnelle? Que nenni. Liège Bastogne Liège, c’est bien plus que ça, une course de légende. Course du 19e siècle qui vit le jour en 1892, son histoire est jalonnée d’exploits depuis qu’elle a acquis ses titres de noblesse une fois le second conflit mondial passé: la double victoire de Drycke et Schoubben en 1957, sous une neige dense et épaisse,  la victoire, encore sous la neige, en 1980,  d’un Bernard Hinault transi par le froid, les 5 victoires du “Cannibal”, le succès du plus ardennais des Wallons, Philippe Gilbert en 2011. Cette course, tout le monde la veut à son palmarès : « J'avais vraiment envie de la faire dans ma carrière. Liège, c'est la plus ancienne, c’est ce qui lui donne tout son charme. L'ambiance en Belgique, la montée de Saint-Nicolas...c'est des lieux où quand tu passes en vélo, tu as des frissons. Dans le monde du vélo tout le monde parle de Liège».

 

Le coureur de Cofidis sort alors d’une Flèche Wallonne réussie, bien au delà de ses performances, lui qui l’a parcouru pour la première fois. Auteur d’une belle 18e place, alors qu’il n’était au préalable qu’un simple coéquipier dédié à la cause de de Julien Simon, leader désigné. : « Comme Julien n'était pas bien ce jour là, il m'a dit de jouer ma carte. Et j'ai pu faire ma montée. J'étais déjà surpris d'arriver à ce niveau-là parce que c'était ma première Flèche Wallonne ». Un accessit prometteur qui fera office de sésame pour un poste de coureur protégé sur la doyenne. Course radicalement différente de la Flèche :«C'est une course plus ouverte. Sur la Flèche Wallonne, seuls 5 coureurs au départ peuvent prétendre la remporter. Ça se joue sur 3 minutes et c'est plié. Tandis qu'à Liège c’est plus ouvert, on peut tenter de loin, même si c'est vrai que les dernières années, ça n'a jamais sourit aux audacieux».

 

Guère émoussé par la course du mercredi, Rudy Molard se présente détendu sur la ligne. Tandis que les chaussures qui clipsent dans les cales-pieds entament la symphonie du départ il est rassuré, il a de bonnes jambes et la Flèches lui a permis de se jauger face aux meilleurs. Après une séance de 7 heures 30 derrière un scooter la veille, il a pu constater que les deux dernières heures, pourtant fatales aux coureurs moins endurants et qui sonnent le glas de bien des ambitions, ne lui étaient pas néfastes. Même si :« c'est plus dur psychologiquement de se dire que la course commence après 5h, 5h30 ».

 

Quoiqu’il en soit, l’heure n’est pas à l’angoisse, non plus à l’appréhension. Certains peuvent se sentir écrasé, dominés par un monument. Mais pas Rudy Molard : « je n'étais pas plus stressé que ça, je partais heureux. J'allais participer à l'une des plus belles courses du monde. Je n'avais pas de pression d'objectifs . De voir tous les meilleurs coureurs du monde ne m'avait pas plus impressionné que ça ». Cofidis aligne une équipe d’outsider : Navarro, Coppel ou bien encore Julien Simon. Et donc Rudy Molard, qui s’invite presque malgré lui parmi les coureurs protégés : « du coup, on ne m'a pas demandé d'aller dans l'échappée, mais de tenir le plus longtemps possible. Pas leader mais électron libre, comme je l’ai toujours un peu été chez Cofidis ». Les objectifs fixés au désormais coureur de la FDJ sont simples: Tenir les roues, aller le plus loin possible, se battre jusqu’au bout sans jamais rien lâcher.

 

Certes bien que détendu au départ de Liège, le natif de Gleizié n’en reste pas moi concentré. Liège Bastogne Liège, ce sont des successions ininterrompues de côtes qui usent 260 kilomètres durant, les organismes les plus aguerris. Dans ces routes étroites et boisées, le placement est primordial dans la gestion des efforts. Rudy Molard s'évertue à conserver son placement dans le premier tiers de la course. Il garde alors les souvenirs de ses visionnages télévisuels d’enfance:  : « Je voyais que pour ceux qui abordaient les côtes dans les dernières positions, ça devenait souvent très difficile pour eux. l'objectif c'était d'être bien placé sur la côte de Wanne car c'est souvent là qu'il se passe certaines choses.Je l'ai abordé dans les 15 premières positions et ça m'a mis en confiance ». Tout se déroule parfaitement à une seule chose près. :« la seule chose que j'ai loupé, c'est la musette ravitaillement en haut de la côte ». Une broutille qu’un tour à la voiture des directeurs sportifs ira corriger.

 

Quand arrivent les 80 derniers derniers kilomètres, la course peut enfin démarrer. L’échappée matinale composée de 5 coureurs n’aura guère eu la chance de présenter un quelconque danger et sera rattrapée sans difficultés. Le rythme s'accélère dans les rampes de la côte de Haute-Levée mais c’est un peloton encore dense qui entame l’une des montées mythiques de l’épreuve, La Redoute. A cet endroit, le bitume se fait légende, tandis que s'élève la route. Jadis redoutable, elle n’est malgré elle, plus un lieu où la décision se fait. mais l’Histoire, elle est bien présente:« La Redoute, ça donne des frissons! Pour moi c'est Vandenbroucke en 1999 C'est un des moments mythique de Liège. C’est là que je me suis dit : “j’y suis!” ». Toutefois, la Redoute n’opère pas de sélection sur un peloton au niveau homogène.

 

La fin de la course approche et les difficultés à venir peuvent être fatale au coureur débutant qu’il est : Côte des Forges, Côte de La Roche-aux-Faucons, Côte de Saint-Nicolas et enfin Ans. Rudy Molard reste concentré, dans une gestion absolue de l’effort : Ne pas s'intéresser aux autres, juste économiser, gérer et pédaler : « Je n'avais pas le temps d'observer les autres J'étais tellement concentré sur mon effort ... Pour faire un résultat il fallait basculer avec les meilleurs à chaque côte. Je n'ai pas du tout géré aux watts ni à la ceinture cardiaque. J’ai tout fait au feeling ». L'élève est sérieux et appliqué. Pour le moment les jambes tournent bien : « Jusqu'à la roche au faucon ça allait, je n'ai pas eu de moments difficiles, à la rupture. J'étais dans une bonne journée ».

 

La stratégie de l’équipe Cofidis sur la Doyenne est simple : il n’y en a pas...par la force des choses:  « On savait qu'on n'avait pas le niveau pour jouer la gagne, donc si on se sentait bien on pouvait anticiper où suivre le plus longtemps possible... dans  ce genre de courses, à part si on joue la gagne, la tactique, il n’y a pas grand chose à faire ». Toutefois, malgré leur statut d'outsider, ils sont encore 3 de l’équipe, à l’approche de Saint Nicolas, malgré l’abandon de Julien Simon, avec Guillaume Levarlet et Jérôme Coppel. Devant, le rythme s'accélère progressivement, au fur et à mesure des difficultés finales :  « dans la deuxième partie de la Roche au Faucon, ça a attaqué et là je me suis vraiment fait mal pour rester avec les meilleurs. Lors de la bascule au sommet, j’ai senti que ça commençait à devenir dur». Les jambes sont raides et le sang circule moins aisément. La fatigue fait son oeuvre.

 

Mais voilà, cette douleur est le lot de tout cycliste et ne peut en rien faire oublier l’adrénaline de l’instant. Se rappeler les conseil de Christophe Le Mevel. Rester concentré. S’il a mal, alors les autres aussi par la force des choses. Voilà qu’arrive la côte de Saint Nicolas, juge de paix de l’épreuve. Rudy Molard est bel et bien là, à 24 ans, pour son premier Liège-Bastogne-Liège, dans le peloton des favoris. Incrédule :  « Est-ce que je me projetais le matin même dans cette situation là? Ah ben non, ça c'est clair! J'ai fait un sprint parce que le premier virage à droite il est terrible. On se prend tout de suite la relance et là je me rappelle que je me suis vraiment fait mal. Saint-Nicolas je l'ai monté du début jusqu'à la fin à bloc, j'ai vraiment tout donné du pied jusqu'en haut. Mon arrivée à moi, elle était à Saint-Nicolas. Le reste je me suis dit:”on verra”».

 

Le sommet de la côte est franchi, mâchoire serrée et tête dans le guidon. Devant un petit groupe s’est détaché à la faveur des pourcentages. Des Valverde, Pozzovivo ou bien Simon Gerrans. Les grands du peloton. Une fois n’est pas coutume, Rudy Molard aborde l'ultime montée du jour, la côte d’Ans mal placé et semble piégé par la vitesse à laquelle la course se déroule, dès le pied :  «  je m'étais dit que ça allait refaire un peu la boule et qu'il ne fallait pas que je reste dans les toutes premières positions ». C’est trop tard pour les premières places. Devant Simon Gerrans lève les bras et les coureurs franchissent un à un la ligne d’arrivée. Le coureur de Cofidis remonte quelques uns de ses adversaire pour terminer à la 16e place de l’édition. Un mauvais choix stratégique ? Sans doute, mais sans grande importance : « j'ai eu quelques regrets à l'arrivée. Car en attaquant la côte mieux placé, j'aurais sans doute pu faire une meilleure place. C'est dommage car les autres années à la télé ça revenait souvent dans la côte. Mais cette année-là  les coureurs devant ne se sont pas relevés. Mais je ne pense qu'il n'y avait pas grand chose à faire de mieux. Un top 15 c'était jouable, mais pas plus ».

 

Rudy Molard a conscience alors qu’il a effectué une belle course et obtenu un bon résultat, bien au delà de ses attentes, lui qui bataillait à cette période de l’année sur les routes Turques : «J'étais encore sur le coup  de l'euphorie et quand je suis monté dans le bus  tout le monde m'a félicité. Là j'ai compris que j'avais fait un résultat plus que correct». Pas question, cela étant de sombrer dans l’exaltation : il ne s’agit là que d’une 16e place, mais pour une première, c’est déjà un excellent résultat».

 

La suite de la soirée, ce sera un voyage en bus pour coucher dans un hôtel proche de la frontière Franco-Belge. Après les ardennaises, c’est un parfum de flandrienne qui attends les coureurs de l’équipe nordiste, avec une reconnaissance de la future étape pavée du prochain tour de France. Pas de célébration particulière une fois posés les bagages. mais une bonne petite bière fraîche, entre collègues :« Il n'y avait pas non plus grand chose à fêter, c'était avant tout une satisfaction personnelle. Les autres avaient déjà la tête au lendemain. Il n'y avait que moi qui était resté sur Liège... Après ce n'était pas non plus un truc incroyable».

 

Dimanche prochain, Rudy Molard côtoiera la Doyenne pour la quatrième fois consécutive. Son récent transfert au sein de la FDJ semble lui avoir donné un nouveau souffle, comme en témoignent les nombreux accessits obtenus depuis ce début de saison. Il ne sera pas leader : « Arthur Vichot sera le leader et selon comment se passent les ardennaises, j'aurais peut-être un statut un peu protégé ».


8e ce mercredi sur la Flèche Wallonne, de quoi augurer un top 10 à Liège ce dimanche ? Toujours écouter les anciens et se raccrocher à leurs augures.

 

Témoignage recueilli par Bertrand Guyot

 

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