Ramon Hoyos, le premier des scarabées (2/2)

Ramon Hoyos, le premier des scarabées (2/2)

Prophète en son pays, quintuple vainqueur du Tour de Colombie dans les années 50, la renommée de Ramon Hoyos n'a pourtant guère franchi les frontières sud-américaines. La faute à une carrière un peu trop locale. Pourtant, le grimpeur colombien est l'un des plus grands cyclistes qu'ait connu la Colombie, et son parcours mérite qu'on s'y attarde... 2e partie (la 1ère partie est disponible ICI)

La sauterelle qui s'est faite scarabée

C'est à Ramon Hoyos que les cyclistes colombiens doivent d'être surnommés les « scarabées ». En effet, c'est pour le décrire que le chroniqueur sportif Jorge Enrique Buitrago employa ce terme pour la première fois. Fait cocasse, ce dernier admit plus tard avoir commis un lapsus calami, il voulait en fait définir Hoyos comme une sauterelle. Et pas pour ses qualités de grimpeur, mais pour cette position si particulière qu'il adoptait sur son vélo, calé à l'arrière de la selle, genoux décollés du cadre.

Fort du potentiel démontré lors de l'édition précédente, le scarabée est bien décidé à remporter le Tour de Colombie lorsqu'il se présente à Bogota le 19 janvier 1953. Ses principaux rivaux ont pour nom José Beyaert, vainqueur sortant, et Efrain Forero. Au programme, 1923 kilomètres répartis en 15 étapes. Après trois premières étapes de bonne facture, Ramon Hoyos rafle les quatre suivantes. Il prend la tête du classement général au soir de la 4e étape et ne la cèdera plus. Sa victoire lors de la 5e étape, dont l'arrivée est jugée dans son fief de Medellin, est particulièrement marquante : les 127 kilomètres de routes sinueuses au cœur de la province d'Antioquia sont rendus impraticables par endroits pour cause d'inondations. Pour l’emporter, Hoyos devra surmonter les crevaisons, les chutes et devra souvent courir avec sa machine sur le dos… 

La suite de l'épreuve sera un long fleuve tranquille pour le jeune prodige, exception faite de l’arrivée de la dernière étape. Mis en garde sur l’accueil hostile qui lui sera réservé à Bogota, et en dépit de conseils l'enjoignant de laisser gagner Efrain Forero, le local de l'étape, son avance au général sur José Beyaert est si mince (une minute) qu'il refuse de courir avec le frein à main. L'assistance de quatre motards de la police, chargés spécifiquement de le protéger, achève de le convaincre de jouer la gagne dans la capitale colombienne. Forero distancé, il se dispute seul avec Beyaert l'étape et le général. Lors des derniers kilomètres, l'hostilité de la foule envers lui est telle que les motards doivent conduire l'arme à la main. Cela n'empêchera pas le coureur, âgé de seulement 20 ans mais doté de nerfs solides, de s'imposer. Sitôt la ligne franchie, le vainqueur se fraie un chemin jusqu'à la camionnette de son équipe, utilisant son vélo comme bouclier pour parer les coups de poing et de bâton. Arrivé au véhicule, il s'aperçoit que le chauffeur a disparu mais qu'il a laissé les clés à l’intérieur. Sans hésiter, il met le contact et passe au travers des jets de pierres. Ce n'est que plus tard que le coureur s’apercevra que le vélo qui lui a permis de remporter son premier Tour de Colombie a été volé.

Un palmarès impressionnant, mais très sud-américain 

Les années qui suivent renforcent son statut de meilleur coureur colombien puisqu'il remporte les Tour de Colombie 1954 (6 victoires d'étape), 1955 (12 étapes), 1956 (8 étape) et 1958 (2 étape). Des résultats qui font de Ramon une véritable icône en Colombie, où sa personnalité et ses succès rendent le cyclisme plus populaire encore que le football. Pourtant, c’est peut-être sa victoire sur une course moins prestigieuse qui marquera le climax de sa popularité. Sur la Classique El Colombiano, Ramon Hoyos va en effet surclasser les deux superstars du peloton mondial : Hugo Koblet et Fausto Coppi. L'arrivée du Campionissimo en Colombie fut d’ailleurs célébrée comme un événement. Voir le scarabée s’imposer à ses dépens a fortement marqué les esprits de ses compatriotes, même s’il est évident que l’Italien et le Suisse n’étaient pas venus en Amérique du Sud avec le couteau entre les dents. En dehors du territoire national, Hoyos a également conquis de jolis trophées : un Tour de Porto Rico, deux étapes du Tour du Mexique, et surtout un titre de champion panaméricain en 1955 couplé à une belle 13e place sur la course en ligne des JO de Sydney l'année suivante.

Sa seule expérience en Europe lui laissera en revanche un goût amer. En dépit d’un statut déjà affirmé dans son pays, il débarque en France en 1953 dans la peau d’un parfait inconnu. Hoyos est alors pensionnaire de l'équipe cycliste de l'armée colombienne. Insuffisamment préparée à tous les niveaux (physique, stratégique, matériel, mental...), l’équipe colombienne ne peut jamais rivaliser. Par exemple, lors de la Route de France (un genre de Tour de France amateur), Hoyos arrive hors délai lors de la première étape. Repêché, il récidive lors des trois étapes suivantes et est finalement mis hors course. Cette expérience en Europe, survenue certainement trop tôt dans sa carrière, dans des circonstances défavorables, restera comme son plus grand regret. Lui, toujours si sûr de son talent, n’avait pas pu prouver sa valeur aux habitants du Vieux Continent. Don Ramon de Marinilla laissera à Cochise Rodriguez le soin de devenir le premier Colombien à courir le Tour de France…

Recentrée en Amérique Latine, la carrière du grimpeur s’achèvera une première fois 1959, suite à une triste 15e place lors du Tour de Colombie. Alors âgé de 26 ans, Hoyos fonde un commerce de cycles. Mais il sortira de sa retraite dès l’année suivante pour enchaîner quatre dernières saisons au plus haut niveau, avec comme seul éclat cette victoire sur la 4e étape du Tour de Colombie 1960. Il quittera définitivement le monde du cyclisme en 1971, après sept ans passés aux commentaires à Radio Caracol.

Une immense popularité

Il est difficile de se représenter la popularité dont a joui Ramon Hoyos en son temps. Il fut la première superstar du cyclisme Colombien. Il fut le sportif le plus adulé par ses compatriotes. Sa maison était constamment assiégée par les admirateurs et les cyclistes en mal de conseil. Quand il en ouvrait les portes, il devait verrouiller toutes les pièces sous peine de voir disparaître médailles et trophées. Dans la rue, il était abordé comme une rock star. Sa popularité se mesure aussi à l'aune des innombrables unes de journaux qui lui furent consacrées et des publicités auxquelles il prêta son image. Preuve ultime de son aura inégalée, son image côtoyait celle des saints dans la plupart des foyers colombiens.

La source de l’amour que les Colombiens lui portait se trouve, pour beaucoup, dans son histoire personnelle : issu d’une famille modeste, travailleur dès son plus jeune âge, il était facile pour le peuple de s’identifier à lui. Et puis, le coureur a connu un drame en 1954 : sa mère et sa sœur sont mortes dans un glissement de terrain, et plusieurs de ses frères furent blessés. Un héros ordinaire, touché par le malheur, sportif aussi valeureux que victorieux… Autant d’éléments qui auront fait de Ramon Hoyos une figure sociétale dans la Colombie des décennies 1950/60. A tel point qu’il a laissé une empreinte durable dans la culture populaire. Ainsi, le prix Nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez lui a dédié l'un de ses premiers reportages pour le quotidien El Espectador. En 1959, le célèbre Botero peindra une Apothéose de Ramon Hoyos, tableau emblématique de son œuvre.

Hospitalisé pour des problèmes rénaux, Ramon Hoyos s'éteindra des suites de complications à 82 ans, le 19 novembre 2014. Si les cyclistes colombiens sont aujourd'hui si reconnus au niveau mondial, ils ne doivent pas oublier qu’ils doivent au scarabée une petite part de leur succès.

Par David Guénel ( davidguenel)
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