Interview : Stéphane Heulot "La passion est là, elle s'est même renforcée"

Interview : Stéphane Heulot "La passion est là, elle s'est même renforcée"

5 ans après la fin de l'aventure de Sojasun, Stéphane Heulot va effectuer son retour dans le monde du cyclisme pro, puisque l'ancien maillot jaune du Tour de France a rejoint l'équipe Rally Cycling, où il officiera en tant que manager Europe. Pour Velo-Club.net, il a évoqué son retour, mais aussi le projet de la structure américaine.

Quel est votre sentiment à l’idée de faire votre retour dans les pelotons, 5 ans après la fin de l’aventure Sojasun ?

Je suis plutôt heureux et enthousiaste. Cela a été une réflexion que j’ai pris le temps de mener à son terme en fonction de l’envie que j’avais ou non de revenir. La passion est là, elle s’est même renforcée depuis que j’ai repris les rênes de Sojasun Espoirs.

Est-ce qu’il vous a manqué ce milieu pendant ces 5 années ?

Pas véritablement non, j’ai toujours suivi de près ou de loin ce qui se passait, car j’aime vraiment le cyclisme, qu’il soit pro ou amateur. Après de là à dire que ça m’a manqué, non, je pense que j’avais véritablement besoin de ces 4 ou 5 ans. L’envie est revenue cette année car j’ai pris mon pied avec les jeunes et depuis juillet disons environ, j’ai eu envie de repartir sur un projet.

J’ai lu que vous aviez refusé plusieurs offres ces dernières années, qu’est-ce qui vous a convaincu dans le projet Rally Cycling ?

Les diverses sollicitations que j’ai eu avant, systématiquement c’était par rapport à Sojasun voir Cannondale, donc c’était vite balayé.

Vous aviez le sentiment qu’on s’intéressait plus au sponsor potentiel qu’à vous en tant que personne ?

C’est plus qu’un sentiment (rires). Entre ceux qui entamaient des démarches de manière assez cavalière auprès de Sojasun sans forcément me concerter, et ceux qui sont encore plus francs du collier et qui croient quelque part qu’on est à la rue, qu’on mendie, et qui te disent « Si tu veux tu viens et tu prendras une commission sur ce que tu vas apporter ». J’ai tout entendu je pense, mais bon c’est le monde du vélo.

Après pour en revenir à Rally, ça a été une mise en relation d’abord avec une personne que j’avais perdu de vue depuis 30 ans, et que mon père a dirigé quand il était directeur sportif. Avec ma mère, nous sommes retombés sur certaines de ses lettres, et on a cherché à renouer le contact avec lui, grâce aux réseaux sociaux. On a discuté de plein de choses, et il se trouve qu’il a un ami d’enfance qui dirige l’équipe Rally et qui était à la recherche d’une personne de confiance et compétente pour l’appuyer dans l’évolution de son équipe en Europe. Nous avons donc discuté, sans véritable arrière-pensée, et nous avons trouvé une certaine forme de complémentarité entre nous.

Rally a une position plutôt forte par rapport au dopage, est-ce que cela a joué dans votre décision ?

Il est évident pour eux de ne pas partir avec des gens dont la probité n’est pas reconnue, et me concernant, on se retrouve dans la même position qu’avec Sojasun, avec un projet basé également sur la santé, le bien-être et le soin aux personnes, donc il faut être en adéquation avec les valeurs portées par les différents partenaires.

Pour rester sur le dopage, est-ce que le vélo a changé selon-vous ces dernières années ?

Il est en perpétuelle évolution. Après la nature humaine est telle qu’on est toujours amené à croiser des gens qui prennent des raccourcis, pour X ou Y raisons. Je pense qu’on est cependant dans une vrai démarche d’assainissement, mais de là à dire que c’est 100% clean je n’en sais strictement rien. On a considérablement évolué depuis les années 2000 et le dopage organisé. Nous ne sommes plus du tout dans cette optique, et je ne peux pas imaginer qu’il y ait un seul patron d’équipe qui fermerait les yeux sur de telles pratiques. C’est ce que j’ai envie de croire, et c’est comme cela que j’étais revenu dans le monde du vélo en 2009, même si je ne suis pas dupe car on a encore quelques gars qui se font prendre. La chance que l’on a aujourd’hui, c’est que celui qui prendra des raccourcis se fera forcément avoir à un moment donné. Ceci dit, ce qui serait formidable, c’est que d’autres sports aient la même volonté et la même humilité que le cyclisme par rapport à tout ça. J’ai l’impression qu’on est parfois un peu la risée des autres sports, toujours montrés comme des moutons noirs, alors qu’on en fait considérablement plus que la plupart d'entre eux.

De nombreux managers ou DS qui œuvraient dans les années 90 et 2000 sont toujours dans le milieu, et on sait que vous avez pris des positions fortes par rapport au dopage à cette période, quelles sont vos relations avec ces gens-là ?

Je n’en ai tout simplement aucune.

Est-ce qu’il y a de la rancœur ou de la déception par rapport à eux ?

Non, j’ai dit des choses sur certaines personnes que je ne retirerais absolument pas. Quand je pense que ces dernières sont encore à la tête d’équipes ou de mouvements, ça me fait un petit peu rire. J’imagine que ces gens-là ont adopté une posture différente de celle qu’ils avaient à l’époque. Après non, je n’ai pas de rancœur, j’ai pu en avoir je pense, car c’est toujours compliqué de se faire donner la leçon par des gens qui quelque part ont été l’opposée de ce qu’ils sont ou ce qu’ils veulent donner l’impression d’être aujourd’hui. J’ai une forme d’indifférence plus que de la rancœur, c’est un métier où les collaborations se font seulement quand il y a un intérêt commun, le reste du temps il y a plus une forme d’adversité.

Après il y a des choses qui m’ont toujours un peu surpris dans le cyclisme français, que j’évoque car c’est celui que je connais le mieux, ce sont ces conflits d’intérêt avec des postes ou ce n’est pas légitime d’être lorsque l’on est manager d’équipe. Le fait de collaborer désormais avec une équipe qui n’est pas française me va donc très bien.

Est-ce qu’ils font toujours parti du problème au final ? Devraient-ils laisser la main ?

J’en parlais avec un journaliste récemment, et il me disait en évoquant un certain manager «Tu sais, les coureurs qu’il dirige désormais, ils ont l’écho d’un mec de leur génération. Ils n’étaient pas forcément nés en 1998 » Ils n’ont donc pas obligatoirement vu le visage de ces personnes à cette époque là. Je n’ose même pas imaginer d’ailleurs qu’ils n’aient pas changé. Maintenant « laisser la main », ce n’est pas possible pour eux, ce n’est pas concevable, et puis est-ce que ça changerait quelque chose ?

Ce que je trouve un peu dommage au final dans notre métier, c’est que très peu de gens sont au contact de la base et ont su œuvrer auprès des jeunes. Alors ils ont beau dire on a fait ci ou ça, mais si c’est juste pour donner leur nom à un truc...Quand on fait quelque chose, comme lorsque l’on donne à une œuvre caritative, normalement, on reste discret, enfin c’est ce que je pense.

Pour revenir à Rally, quel sera votre rôle au sein de la structure l’an prochain ?

Je serai manager général Europe. Charles Aaron, le patron de l’équipe a mis beaucoup de compétences sur le plan marketing, relations presse, développement de la performance, etc, mais en restant cantonné sur l’Amérique du Nord, tout simplement parce qu’il avait la connaissance de ce territoire. Néanmoins, il se dit que le cœur mondial du cyclisme est quand même très européen, et il y a donc une envie forte et un potentiel intéressant pour grandir, et le challenge est intéressant. C’est là où j’interviendrai dans le but notamment d’aider la structure à grandir sur le vieux continent. Je serai dans un poste qui me va bien avec quelqu’un au-dessus de moi qui va dégrossir une grande partie du travail par rapport aux partenaires, et me permettre de me concentrer que ce quelque chose qui me plaît bien, c’est à dire l’organisation, le management et la performance.

Comment vous jugez le niveau de l’effectif actuel ?

Sincèrement pour l’instant je connais les noms et les palmarès, mais pas encore les individus. En tout cas il y a du talent, c’est une équipe qui fonctionne bien et qui court bien sur le continent américain. Ils ont aussi performé en Europe, comme lors de l’Arctic Race of Norway notamment. C’est également une équipe assez homogène, avec de vrais très bons talents. Il y a un petit effectif, 16 coureurs, ce qui permet une gestion plus précise des programmes. On a en tout cas une excellente base de départ, qui a été construite de manière intelligente.

Quelque chose qui revient souvent, c’est la difficulté pour les coureurs US de performer en Europe, comment tenter de remédier à cela ?

Je pense que la première chose à faire par rapport à cela, c’est de prendre du recul. C’est à dire comprendre qu’il est beaucoup plus simple de faire du vélo en tant qu’européen, puisque la plupart des courses se déroulent dans 4 ou 5 pays, ce qui signifie qu’après celles-ci, les coureurs peuvent rentrer à la maison. Que ce soit au niveau du décalage horaire, de l’éloignement, etc...tout est forcément plus compliqué pour des nord-américains, qui vont partir loin de chez eux et du cadre familial pour de longues périodes, faire de nombreux aller-retour. Tout ça est à prendre en considération, avec en plus des courses qui sont différentes la-bas, et un programme qui est beaucoup plus léger. C’est vraiment une "mentalité" qu’il faut acquérir pour eux si ils veulent « aller à la conquête de l’Est » et faire le chemin inverse de Christophe Colomb si on veut, et franchement je trouve ça très courageux de leur part.

Quels seront les objectifs l’an prochain ?

Je suis en train de compléter le programme afin de trouver des épreuves qui leur correspondent bien. Il faudra tout d’abord leur apporter une connaissance progressive des courses et monter d’un cran petit à petit. Pour les américains, il y a 2 courses importantes, c’est Paris-Roubaix et le Tour de France. Paris-Roubaix, c’est celle des deux qui est la plus facile à aborder en terme d’approche. Avec une préparation spécifique, sans non plus viser les premières positions, c’est une épreuve où l’on peut faire aussi bien que certaines équipes. Après ça me paraît compliqué pour cette première année où on découvrira des courses un peu moins relevées.

Avec un mélange de classes .1 et de course .HC ?

Oui voilà, des courses qui seront un excellent tremplin pour avoir une bonne base, et construire une équipe pour 2020 qui sera forcément un gros cran au-dessus.

Justement, la puissance financière du sponsor est très élevée, j’imagine qu’à long terme l’objectif est aussi de participer au Tour de France ?

C’est évident que le potentiel du sponsor pour faire une très grande équipe est là, mais ce que j’ai apprécié, c’est que l’idée n’est pas d’additionner les individualités. 2020 sera certes un tournant avec le nouveau système de qualifications pour les grands événements du World-Tour, mais attention à ne pas non plus s’égarer et à perdre son identité en route.

Est-ce qu’il n’y a pas un risque justement par rapport à cette réforme d’une certaine course à l’armement en Conti-Pro ?

Probablement, mais une course à l’armement nécessite du budget, et on sait qu’à ce niveau là c’est compliqué. Après ça va forcément faire une sélection par l’argent, et je ne dis pas que c’est sain, mais d’un autre côté peut-être que c’est bien, que ça va un peu casser ce rituel d’inviter forcément en France les équipes françaises, idem en Italie, en bloquant parfois le marché, car même un sponsor qui mettrait beaucoup d’argent devrait faire « une année probatoire ». Ce n’est pas forcément mauvais, mais ça peut avoir un effet bloquant au niveau du marché. Il y a aussi un côté stratégique, et ça peut être dangereux de voir une équipe qui se contenterait d’acheter des coureurs avec des points sans avoir pris en compte l’aspect cohésion du groupe, mais aussi sans avoir intégré que d’une année sur l’autre, les points peuvent être perdus. On a vu quelques exemples en France cette année, où attirer de grands noms ne suffit pas forcément.

Propos recueillis par Charles Marsault (photo : rally cycling)

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